Logement / Urbanisme – L’obligation de recours à un architecte à partir de 150 m2, c’est maintenant !

28/02/2017 Jean-Noël Escudié / PCA

HABITAT – URBANISME – PAYSAGE

A partir du 1er mars 2017, toute construction d’une superficie supérieure à 150 mètres carrés devra faire appel à un architecte. Retour sur l’une des mesures les plus débattues de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.

Le 1er mars 2017 marque l’entrée en vigueur de l’une des mesures les plus débattues de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), celle prévue par son article 82 (voir notre article ci-dessous du 12 juillet 2016) : l’obligation de recourir à un architecte pour toute construction – hors bâtiments à usage agricole – d’une superficie supérieure à 150 mètres carrés (au lieu de 170 m2 auparavant). Plus précisément, cette obligation vaut pour toutes les demandes de permis de construire déposées à partir du 1er mars. Elle s’applique aux personnes physiques et morales maîtres d’ouvrage, aux professionnels de la construction, aux services déconcentrés de l’Etat comme aux collectivités territoriales pour la délivrance des permis de construire.

Un imbroglio juridique

Sans surprise, l’article 82 de la loi LCAP a été accueilli avec satisfaction par les architectes, qui n’ont pas eu globalement à se plaindre d’une loi très favorable à leur profession. Pour autant, l’adoption de la mesure a suscité une confusion certaine. En effet, le texte de l’article 82 – pourtant sans ambiguïté sur la limite de 150 m2 – a donné lieu à des interprétations divergentes. Les architectes, mais aussi des communes ou intercommunalités, ont considéré que la disposition s’appliquait dès publication de la loi, autrement dit dès le mois de juillet 2016, la loi ne fixant pas de date spécifique d’entrée en vigueur. Mais les juristes du ministère de la Culture se sont inquiétés d’une rédaction de l’article 82 qui pouvait donner lieu à une autre interprétation : les 150 m2 étant une limite supérieure pour se passer du recours à un architecte, rien n’empêcherait – théoriquement – de ramener un jour cette limite à un étiage inférieur, sans pour autant contredire la loi… Préférant jouer la prudence, le ministère a donc annoncé la publication d’un décret, qui n’était pas prévu à l’origine.
Malgré la simplicité de ce décret – qui se contente de quelques lignes -, il a fallu attendre le 14 décembre 2016, soit cinq mois de flou juridique, pour la promulgation de ce texte (voir notre article ci-dessous du 19 décembre 2016). Ce dernier a également fixé au 1er mars 2017 la date d’entrée en vigueur de la mesure, soit un délai supplémentaire de près de trois mois.

Surface Shon ou plancher ?

Sur le plan juridique, ce décret « relatif à des dispenses de recours à un architecte » se contente de verrouiller les 150 m2 au niveau réglementaire (ce qui n’empêcherait toutefois pas d’abaisser ce plafond par un autre décret…). Il abroge au passage le précédent décret, remontant au 3 mars 1977 et qui avait alors été pris en application de l’article 4 de la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture.
Sur le fond, le Conseil national de l’Ordre de architectes voit plutôt dans ce passage de 170 à 150 m2 un retour à la situation antérieure. La profession avait en effet très mal pris un « décret scélérat » du 7 mai 2012 qui – au motif de ne pas pénaliser les logements aux parois fortement isolées – était passé d’un calcul de la surface en Shon (surface hors œuvre nette, autrement dit mesurée à l’extérieur des murs de façade) à un calcul basé sur la surface de plancher, ne tenant pas compte des épaisseurs « structurelles et isolantes ». Le tout en ne touchant pas au plafond alors applicable de 170 m2. Avec la loi LCAP et le décret de décembre 2016, on reviendrait donc à la situation antérieure, puisqu’une surface maximale de plancher de 150 m2 équivaudrait plus ou moins à 170 m2 en Shon…

 

Lotissement : le décret fixant à 2.500 m2 le seuil de recours à un architecte est également paru

 

Deux autres mesures issues de la loi LCAP connaissent également une avancée. Un décret du 27 février 2017 fixe ainsi à 2.500 mètres carrés le seuil de recours obligatoire à un architecte pour l’élaboration du projet architectural, paysager et environnemental d’un lotissement. Cette disposition – qui s’applique aux demandes de permis d’aménager déposées à compter du 1er mai 2017 – avait suscité, lors de l’examen du projet de loi, de vives protestations de la part des paysagistes, qui se trouvent ainsi placés sous la coupe des architectes.
Par ailleurs, un second décret du 27 février 2017, également pris en application de la loi LCAP, précise la procédure applicable en matière d’instruction des dérogations aux règles d’urbanisme accordées en application des articles L.151-29-1 (réalisations présentant un intérêt public du point de vue de la qualité ainsi que de l’innovation ou de la création architecturales) et L.152-6 du Code de l’urbanisme (dans certaines zones d’urbanisation continue de plus de 50.000 habitants et dans les communes de plus de 15.000 habitants en forte croissance démographique). Le texte prévoit que le demandeur d’une dérogation aux règles d’urbanisme doit fournir un exemplaire supplémentaire du dossier de demande, à charge pour le maire – guichet unique – de le transmettre dans la semaine au préfet de région. La commission régionale du patrimoine et de l’architecture dispose alors de deux mois pour se prononcer. A défaut, elle est réputée avoir émis un avis favorable.

 

POUR ALLER PLUS LOIN

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2 réponses à Logement / Urbanisme – L’obligation de recours à un architecte à partir de 150 m2, c’est maintenant !

  1. Aurélie dit :

    Merci pour toutes ces informations très pertinentes !

  2. vincent025 dit :

    Bonjour,

    je travaille pour le Gouvernement et j’entreprends un rapport d’étude sur la profession d’architecte en France, sur ses rapports avec le patrimoine bâti, sur la nouvelle législation (LACP de juillet 2016), sur les liens des architectes avec la promotion immobilière (résidentielle et urbaine)…

    quelques observations :

    depuis un peu plus de dix ans, le législateur réforme, modifie, simplifie les règles juridiques, fiscales et techniques qui encadrent la promotion immobilière. L’année 2016 a été particulièrement foisonnante :

    1) Changement complet de la numérotation du livre 1 du code de l’urbanisme : depuis le 1er janvier 2016, tous les articles concernant les documents d’urbanisme ont été renumérotés ou déplacés.
    – Bouleversement du contenu du plan local d’urbanisme : le PLU version 3.0 (après la loi SRU, la loi Grenelle II et la loi ALUR) comprend un règlement  » modernisé « , des  » secteurs de projet « , des règles alternatives ou uniquement graphiques, etc.
    – Réforme du droit du patrimoine par la loi du 7 juillet 2016 : création des  » sites patrimoniaux remarquables  » en remplacement des ZPPAUP et des AMVAP, d’un régime de  » protection des abords  » en remplacement de l’actuel  » périmètre de protection  » (500 mètres + co-visibilité), ainsi que de nouvelles dérogations aux règles du PLU, notamment pour  » les projets dont la réalisation présente un intérêt public du point de vue de la qualité ainsi que de l’innovation ou de la création architecturales  » (sic).
    – Réforme du droit de l’environnement : nouveau régime de l’évaluation environnementale (champ d’application et contenu de l’étude d’impact) et des procédures de concertation du public (concertation préalable, enquête publique, mise à disposition du public des études d’impact…), partiellement entré en vigueur le 1er janvier 2017, etc.

    2/ mouvement de balancier qu’observe le droit de l’urbanisme depuis plusieurs années : des textes parfois intelligents mais toujours compliqués, suivis — après les premiers retours d’expérience — de mesures dérogatoires. Ce balancier peut notamment s’expliquer par le manque de pragmatisme des différentes réformes mises en place.

    3/ Toutefois, une proposition de loi portée par plusieurs sénateurs, adoptée en première lecture au Sénat le 2 novembre 2016 envisageait une évolution des textes sous un angle, cette fois, résolument pratique.
    Deux exemples méritent d’être soulignés, car ils sont très révélateurs des attentes des acteurs de la promotion :
    – Le contentieux. Il n’est pas besoin d’insister sur les difficultés que posent les recours formés contre les autorisations d’urbanisme et, en particulier, les permis de construire. Nombre de fois une opération est  » bloquée  » par un recours qui ne présente pourtant absolument aucun danger sur la faisabilité du projet immobilier.
    La proposition de loi prévoit différentes mesures pour tenter de rendre plus efficace le traitement du contentieux de l’urbanisme. Surtout, elle contient une disposition qui remplit d’espoir : l’obligation pour le tribunal administratif de statuer dans un délai de six mois à compter de l’enregistrement de la requête. De toute évidence, il s’agit là de LA véritable mesure réellement susceptible de faire avancer les choses.
    – L’architecte des bâtiments de France (ABF). Si le promoteur peut facilement s’assurer du respect des règles d’urbanisme, il lui est impossible d’avoir la garantie que son projet sera regardé, par les services instructeurs, l’ABF et ensuite le juge, comme s’intégrant  » harmonieusement  » dans son environnement naturel et/ou bâti. Objectiver l’avis de l’administration sur la qualité architecturale du projet n’est pas chose facile, et la proposition de loi envisage notamment de permettre à la commune ou l’intercommunalité compétente d’associer l’ABF à la définition de règles et prescriptions à reprendre dans le PLU, pour offrir aux opérateurs une grille de lecture plus claire. Elle envisage également la publication sur le site internet de la préfecture des avis de l’ABF, à l’instar de ce qui existe en matière d’avis de l’activité environnementale, et ce, pour offrir une plus grande prévisibilité aux opérateurs.

    4/ Ces mesures sont de nature à intéresser le quotidien des opérateurs. Il faut espérer que la proposition de loi survivra en 2018 et que la réforme du droit de l’urbanisme sera réellement pensée pour simplifier leur pratique.

    5) Quelles sont les attentes des architectes pour faciliter la construction d’immeubles urbains ou les constructions individuelles ?

    le débat est ouvert…

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