vous reprendrez bien une tasse de tilleul-menthe ?

DpA

C’est la rentrée, y compris pour les Cahiers de la profession dont le nouveau numéro vient de sortir. Au sommaire – entre autres – l’édito du président, un retour sur les réactions à la pétition pour la suppression du seuil des 170 m2, et le traditionnel sondage IFOP / CNOA.

L’année dernière vous vous en souvenez, l’actualité du sondage c’était «la profession face à la crise», dans lequel l’abrogation du seuil des 170 m2 arrivait au top 5 des idées de la profession pour «faire face à la crise». Les derniers Cahiers nous offrent un petit florilège des réactions (positives) à la proposition de suppression du seuil, signe que peut être, le réalisme n’était pas du côté qu’on croyait, et que l’idée finira par être reprise par l’Ordre ? En tout cas nous en profitons pour mettre dans la revue de presse (rubrique «la pétition») une compilation plus étoffée des réactions reçues par DpA, pour ceux qui veulent prolonger….

Venons-en au nouveau sondage, mené dans 5 pays, sur «le rôle que les habitants attribuent à l’architecture dans la société, l’utilité de l’architecte, et les représentations associées au logement»1 . Ne partez pas en courant (sauf pour venir à la prochaine AG de Dpa vendredi 16 septembre), on se l’est coltiné et çà nous a occasionné quelques perplexités… autant sur ce qu’on y trouve que sur ce qu’on y trouve pas d’ailleurs…

1ère entrée, «le rôle de l’architecture dans la société» : telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, l’architecture contribue-t-elle à renforcer (ou affaiblir) 1 / le développement durable 2 / l’aménagement du territoire 3 / l’harmonie des villes et des campagnes 4 / la cohésion entre les habitants

Là, on se dit que les sociologues de l’Ifop pourraient peut être un jour actualiser leurs références, on en est toujours à parler de l’harmonie des villes et des campagnes à l’ère du périurbain globalisé et des villes toujours plus verdissantes, à identifier architecture et aménagement du territoire (le tout et la partie), voire même à soupçonner derrière «architecture et cohésion sociale» de vieux discours d’assimilation entre le béton des 30 glorieuses et les quartiers sensibles. Bizarre de ne pas voir apparaître le mot «urbain» dans le questionnaire (ni plus loin), alors qu’au moins pour la France on est 80% à vivre en ville… et que c’est l’architecture qui fait le cadre urbain.

Pour les réponses globalement tout va à peu près bien, sauf pour les Français qui sont les seuls à juger négativement l’impact de l’architecture dans «l’harmonie des villes et des campagnes» ainsi que son impact dans la «cohésion entre les habitants». Une explication à ces dernier constat ? L’analyse suggère que «l’image de l’architecture» est entachée en France par «un discours sur le déséquilibre social entourant les zones sensibles».
Les questions des sondages participeraient-elles à véhiculer ledits discours peut être ?  Alors que la suite de l’analyse précise incidemment qu’un lien de causalité entre l’architecture des quartiers et le manque de cohésion sociale est davantage établi par les sympathisants de droite que de gauche ? Parler de qualité de vie du cadre urbain, çà aurait pas permis d’éviter les résurgences stéréotypées de ce vieux débat national ?

Deuxième entrée, «l’utilité du travail de l’architecte» : êtes-vous d’accord avec les propositions suivantes : 1 / le travail de l’architecte est la plupart du temps utile parce qu’il permet une construction de qualité, harmonieuse et respectueuse des paysages 2 / le travail de l’architecte est le plus souvent un passage obligé qui est coûteux et dont on aimerait bien se passer

Là, on reste intensément perplexe. Pourquoi une telle association de ces deux questions dans le même thème sur l’utilité de l’architecte (et d’abord, c’est quoi «le travail de l’architecte» pour les sondés ?) Et, deuxième temps, burp, c’est quoi cet amalgame à propos du coût de l’architecte ?

En fait trois propositions, qui contiennent trois questions : 1/ «l’architecte, le plus souvent un passage obligé» : effectivement des réponses corrélées aux différentes réglementations nationales)  2/ «un travail coûteux» : estimez vous son coût proportionné à ce qu’il apporte, 3/  «un travail dont on aimerait se passer» : au regard de ce qu’il apporte, pensez-vous utile d’y avoir recours.
Trois questions aboutées, çà devient une affirmation, soit une thèse soumise à validation. Qui produit des réponses inexploitables évidement, alors que poser «honnêtement» les trois questions séparément aurait permis d’en savoir plus.

Au niveau des réponses tous pays confondus, 80% de réponses positives sur l’utilité globale du travail de l’architecte. Sur le fait de vouloir s’en dispenser, sans surprise également, réponses majoritairement positives aussi à 60%. Cherchez la contradiction…

Au niveau des réponses par pays sur la dispense du recours à l’architecte, les Français sont largement en tête… alors que les Espagnols ne sont pas d’accord avec la proposition, suivis de pas loin par les Anglais.
Pourquoi une telle exception, se demande le lecteur, aidé en cela par un petit encadré rappelant la différence des réglementations nationales sur «le monopole» de l’architecte ?  Serait-ce parce que l’architecte Espagnol est moins cher, ou bien parce qu’on a pas le choix de faire sans lui, et que du coup il est intégré dans un «coût global» ?
Fausse piste, l’analyse nous dit simplement sur un ton un poil sentencieux que « la puissance et le respect qu’inspirent l’Ordre espagnol et la réglementation ancienne de la profession (c’est-à-dire ?) contribuent probablement à expliquer le jugement porté par les Espagnols sur leurs architectes».

Faut-il comprendre qu’instaurer le respect de l’Ordre dans l’inconscient national de l’autre côté des Pyrénées, çà aurait des effets magiques sur la multiplication spontanée des euros dans le porte-monnaie de l’habitant qui du coup trouverait l’architecte pas cher, et par voie de conséquence tout aussi logique, entraînerait une perception positive du passage «le plus souvent obligé» par l’architecte ?

On cherche désespérément une conclusion qui s’imposerait : l’architecte, utile mais coûteux… utile mais pas vraiment indispensable ? utile mais pas vraiment légitime ?

Le doute s’installe dans l’esprit du lecteur qui regrette de ne pas avoir opté pour une tasse de tilleul-menthe plutôt que de s’infliger cette lecture…

Passons aux «pistes d’amélioration du travail de l’architecte» : spécifiquement pour les logements, sur quel sujet les architectes devraient-ils se pencher en priorité, afin de mieux répondre aux besoins actuels des habitants ? 1 / mieux tenir compte des nouvelles exigences écologiques  2 / concevoir des logements moins chers 3 / mieux tenir compte des modes de vie des habitants dans la conception du logement 4 / diversifier davantage les logements afin de permettre à chacun d’avoir un logement individualisé et non standardisé

Et non, on ne saute pas tout de suite voir les réponses, parce qu’une perplexité obsédante s’installe à propos du chapeau englobant toutes ces questions sur le coût du logement, la conception, l’usage, la construction écologique : tout çà pour le seul travail de l’architecte ? On est ravi d’apprendre que non seulement on va pouvoir se pencher davantage sur l’adaptation des logements aux modes de vie (mais quoi dans les modes de vie ?), mais qu’on va enfin pouvoir concevoir des logements pas chers ….
La barque est bien chargée pour le dos d’une seule profession et d’un seul acteur de la production du logement…
La question, c’est fait pour renforcer l’importance d’une profession garante de l’intérêt public de l’architecture dans les représentations collectives ? C’est peut être bon pour l’ego, mais des fois, un seul responsable, un seul coupable…

Dernière question sur «les représentations associées au logement» : en pensant au logement aujourd’hui dans votre pays, diriez-vous que : il y a beaucoup de personnes mal logées / les logements construits aujourd’hui sont de meilleure qualité qu’autrefois / il n’y a pas assez de logements

Bigre, sonder sur les «représentations» associées au logement sans une seule question sur le coût du logement, en ces temps de bulle immobilière, fallait oser. Quoique, non, puisque la piste du logement moins cher, c’est relégué dans «les pistes d’amélioration du travail de l’architecte», tout s’explique donc.
Et aligner un paragraphe de commentaire sur le développement du «tous propriétaires» au détriment du logement social, alors qu’aucune question ne porte sur le logement social : pratique, çà dispense de déduire quoique ce soit.

Pour le détail, là non plus on comprend pas toujours les conclusions du commentaire : «les personnes interrogées reconnaissent qu’au fait que trop de personnes sont mal logées s’ajoute un manque de logements et une qualité de construction parfois médiocre» : ben non, le graphique montre que seuls les Anglais estiment que les logements anciens sont de meilleure qualité (c’est quoi la qualité du logement d’ailleurs ?), alors que les Allemands se distinguent à presque 20 points au dessus de la moyenne pour trouver qu’au contraire les logements contemporains sont meilleurs, et à une petite majorité pour trouver qu’il y a assez de logements dans leur pays. Ca s’explique comment çà ? Vous voudriez que ce soit mis en corrélation avec le fait que (tout à fait ailleurs dans le texte) l’Allemagne dispose «d’une bonne offre locative, d’une offre de logement social ou à loyers contrôlés qui augmente le coût relatif de la propriété par rapport à la location» ? Eh ben peut être mais vous ferez le travail vous même si vous avez le temps… et toutes les données pour le confirmer…

L’ensemble du sondage est donc à l’avenant : sous une apparence tellement consensuelle qu’elle provoque inévitablement l’apathie, une absence de mise en relation claire des données les unes avec les autres, et une série de propositions soit totalement obsolètes (le béton et la cohésion sociale), soit en décalage avec la portée de l’intervention de l’architecte (pouvoir économique et de décision), soit carrément nuisibles pour la profession (l’architecte trop cher donc inutile). Et toutes en contradiction avec l’affichage des positions de l’Ordre.
Carli a de bons yeux pour en déduire dans son édito «une attente très forte auprès des architectes pour l’adaptation des logements aux usages». On peut tout aussi bien y lire «une attente très forte pour des logements plus économes en énergie» ou «une attente très forte pour construire davantage de logements» ou «une attente très forte pour un abandon du recours à l’architecte», selon le degré d’attention porté au texte.
On essaye de se rassurer : les questions, elles sont bien validées par l’Ordre ? A moins qu’en comité de relecture la tisane ait là aussi produit son effet collatéral ? (de permettre aux instituts de sondage de penser pour vous ?)

allez, bonne lecture, et bonne rentrée à tous
(et n’oubliez pas vos devoirs de vacances, je veux dire le quizz en dernière page des Cahiers qui vous permettra de re-démarrer tout en douceur dans l’univers enchanté de la réglementation ! )

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